Actualité du journalisme
Paris-Match : démission de Bruno Jeudy et motion de défiance
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Paris-Match : démission de Bruno Jeudy et motion de défiance
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Paris-Match : démission de Bruno Jeudy et motion de défiance
La rédaction du magazine hebdomadaire Paris-Match a voté jeudi 19 août une motion de défiance envers sa direction. Pourquoi, et quels sont les enjeux de cette motion de défiance ? On va voir tout cela.
Dans cet article...
Paris-Match : l'historique
Mais pour comprendre les enjeux et les événements qui ont conduit à cette motion de défiance et le départ de Bruno Jeudy, une remise en contexte s’impose.
👉 La ligne éditoriale
Paris-Match est donc un hebdomadaire dont le premier numéro paraît en 1949. Son premier slogan est “le poids des mots, le choc des photos”, ce qui annonce la tendance : le magazine s’appuie sur beaucoup de photographies (parfois volées, ce qui lui a valu quelques scandales) pour écrire ses sujets. Malgré ce côté people, le journal se veut généraliste et traite de nombreux sujets. A ses débuts, le journal couvre donc la guerre d’Algérie ou encore la guerre du Vietnâm, etc. Ce ne sera qu’en 1968 que le magazine prendra vraiment ce côté paparazzi avec une attention particulière au “Tout-Paris”.
Le magazine a également une orientation de droite – et ce dès le début. Il s’est par exemple opposé à la décolonisation, avec des reportages marqués à droite pendant les guerres d’Indochine et d’Algérie.
👉 Les actionnaires
Côté financier, le magazine est créé par Philippe Boegner et surtout Jean Prouvost (qui gardera la main sur le magazine jusqu’à sa mort en 1978). C’est Jean Prouvost qui va racheter Match, le magazine sportif, pour en faire Paris-Match. Il est déjà un homme d’affaire et patron de presse avant-guerre. Il détient des titres comme Paris-Soir et Paris-midi ou encore Marie-Claire.
Jean Prouvost va participer un temps au régime de Vichy, sous lequel il
sera haut-commissaire à l’Information. Il démissionne en 1940 lorsque
Pétain obtient les pleins pouvoirs. Mais cela ne l’empêche pas d’être
frappé d’indignité nationale à la Libération. Cependant, il sera gracié
en 1947 et pourra alors reprendre ses activités de presse.
Il achète Paris-Match avec la famille Beghin, qui détient aussi plusieurs titres de presse. Ensemble, ils achèteront également des parts au Figaro.
Et les deux sont intégrés à une structure financière commune en 1950.
En 1970, Jean Prouvost fait racheter les parts (49%) de la famille
Beghin par Le Figaro. Il devient alors le seul actionnaire du journal.
Jean Prouvost s’implique énormément dans le journal,
et il y a les pleins pouvoirs : il n’hésite pas à renvoyer le rédacteur
en chef, Philippe Boegner en 1952, alors que ce dernier a mené le
magazine au succès, et il vire aussi une grande partie de la rédaction
en 1968, suite à une grève du personnel – la première de l’histoire du
magazine.
A sa mort, en 1978, c’est Daniel Filipacchi, ancien photographe de Paris-Match, qui rachète les parts et devient propriétaire du titre.
En 1980, Hachette et le groupe de presse de Daniel Filipacchi fusionnent pour donner naissance au groupe Matra Filipacchi Médias… Dont un certain Jean-Luc Lagardère prend la tête.
Le magazine hebdomadaire va ensuite intégrer définitivement l’empire de Lagardère en 2019, en rejoignant Lagardère News, aux côtés du Journal du dimanche et d’Europe 1. Dès octobre 2021, cependant, Vincent Bolloré se rapproche du groupe de Lagardère News, jusqu’en février 2022, après une Offre publique d’achat (OPA) où le groupe Vivendi dirigé par Vincent Bolloré, en devient le principal actionnaire. Vivendi détient plus de 57% des parts.
Bolloré aux commandes
C’est donc dans ce contexte de rachat par Vivendi qu’a lieu le départ de Bruno Jeudy, puis la motion de défiance. Reprenons.
👉 Le départ de Bruno Jeudy
Le 7 juillet 2022, le magazine publie en Une le portrait du cardinal Robert Sarah. Ce cardinal se dit lui-même “radical” et il est souvent qualifié dans la presse de “conservateur” voire même “d’ultra-conservateur”. Six pages lui sont consacrées à l’intérieur du journal. Ce qui ne plaît pas à la rédaction.
L’article n’a pas été écrit par un journaliste de la rédaction, mais par Philippe Labro, journaliste, écrivain, mais surtout, ami de Vincent Bolloré.
Malgré l’opposition de la rédaction, et notamment du rédacteur en chef, Bruno Jeudy, l’article est tout de même publié dans Paris-Match.
Le 18 août, on apprend le départ de Bruno Jeudy. Il était rédacteur en chef au service “Politique et économie” dans le titre de presse depuis 2014. Il est aussi régulièrement invité sur les plateaux télévisés, comme à BFM TV, en tant qu’éditorialiste.
Selon un mail de la direction, ce départ s’est fait d’un “commun accord”. Bruno Jeudy s’était en effet plusieurs fois opposé aux choix éditoriaux récents du magazine, en critiquant l’ingérence de la direction.
Depuis octobre 2021, les Unes sont par exemple validées, voire choisies par la direction. La direction avait été remplacée à ce moment-là par Vincent Bolloré.
Il y avait aussi déjà eu de l’eau dans le gaz lors de la réélection d’Emmanuel Macron en tant que président de la République : la direction de Paris-Match avait décidé de ne pas lui consacrer de Une, chose qui n’était jamais arrivée jusqu’à présent.
Bruno Jeudy s’était déjà offusqué de ce manque de Une : c’était selon lui, ne pas respecter la tradition. Cette absence de Une avait été perçue comme le signe de la main-mise de Vincent Bolloré. L’homme d’affaire breton n’est en effet pas proche du président de la République.
👉 La motion de censure
Le départ de Bruno Jeudy a été très mal vécu par la rédaction de Paris-Match. Le rédacteur en chef était plutôt populaire auprès de ses collègues. Son départ a été perçu comme un exemple : si la direction, et plus ou moins indirectement Vincent Bolloré, peut obtenir le départ du rédacteur en chef, il peut obtenir le départ de n’importe qui.
Jusqu’à présent, le pouvoir de Vincent Bolloré sur le titre de presse et le groupe Lagardère News s’était fait plutôt discret : les événements à Paris-Match sont l’illustration du pouvoir de l’homme d’affaire breton.
Le jour suivant le départ de Bruno Jeudy, la rédaction a donc fait voter une motion de défiance envers la direction du magazine. Les 78 journalistes ont voté, en majorité, pour cette motion de défiance (60 voix pour), preuve du soutien à Bruno Jeudy.
Mais concrètement, que peut faire cette motion de défiance ?
La motion de défiance : pourquoi ?
Déjà, qu’est-ce qu’une motion de défiance ?
Dans le droit français, on va plutôt parler de “motion de censure”, mais le principe est le même : montrer son désaccord avec la politique menée par le pouvoir en place – ici la direction du journal.
Il s’agit d’un vote des députés qui, s’il obtient la majorité, peut provoquer la dissolution d’un ou plusieurs membres de l’exécutif.
Bien sûr, la motion de défiance faite par la rédaction de Paris-Match n’a rien de juridique : contrairement aux membres de gouvernement, la direction n’est pas forcément obligée de démissionner, bien que la motion ait été votée à plus de la majorité (60 voies pour, 2 contre, 8 blancs).
Il est donc intéressant de voir ce qu’il va se passer et le poids que cette motion de défiance aura pour l’équipe directionnelle, et par ricochet pour Vincent Bolloré.
Récemment encore, la direction semble avoir écarté un article sur Valérie Pécresse qui suggérait qu’il y avait des tensions au sein du parti des Républicains. A noter tout de même que cet article était initialement prévu le 18 août, soit avant le vote de la motion de défiance.
A noter également que la rédaction a choisi une motion de défiance, et non pas une grève. C’est pourtant un moyen déjà employé, par exemple en 2006, lors du licenciement d’Alain Genestar. Le directeur de publication de Paris-Match était entré en conflit avec le futur président de la République Nicolas Sarkozy pour avoir publié en Une une photo de Cécilia Sarkozy avec son amant. La rédaction avait alors fait grève pour protester de ce renvoi lié à des “raisons politiques”. C’était la deuxième grève de l’histoire du journal. La grève avait été calmé par le choix d’Olivier Royant, directeur adjoint et apprécié des journalistes, pour remplacer Alain Genestar.
Reste donc à voir si la motion de défiance est plus efficace qu’une grève.